Mietesheim | Tourisme industriel
Visite d’Alelor : l’Alsace ne manque pas de piquant
L’usine Alelor, à Mietesheim, a accueilli jeudi 1er août une trentaine de touristes. Ils ont découvert la dernière moutarderie d’Alsace et la seule usine de transformation de raifort de France.
Cédric a montré les racines de raifort aux visiteurs. Photo DNA /Marie GERHARDY
La visite d’Alelor, animation régulièrement proposée par l’usine et l’office de tourisme du pays de Niederbronn, a eu un succès inattendu jeudi après-midi. Près de 30 personnes se sont pressées dans la petite boutique à l’entrée du bâtiment, en attendant le guide Cédric. Une fois équipés de charlottes, ils ont pénétré dans les ateliers de fabrication du raifort et de la moutarde.
Cédric a marqué un premier arrêt devant des panneaux informatifs pour dresser un tableau général de la société. Le raifort, « racine âpre » en ancien français, a particulièrement intrigué les visiteurs. Certains n’en avaient jamais entendu parler, d’autres le confondaient avec un fromage. Car si les peuples anglo-saxons et slaves en sont de gros consommateurs, en France il n’est pas si connu.
L’Alsace est la seule région à produire du raifort, et à petite dose. Aujourd’hui, 22 agriculteurs s’y emploient, sur autant d’hectares. Ils sont situés dans un rayon de 30 km autour de Mietesheim, où la famille Urban avait lancé cette production. Ils ont créé en 1992 la Coopérative Alsaraifort et permettent à Alelor de faire 150 tonnes de raifort par an.
Quant à la culture du sénevé, la graine de moutarde, elle est revenue en 2008 en Alsace, après avoir disparu depuis les années 1850. En 2019, ils sont une dizaine de producteurs à s’être lancés. En ne cultivant que la graine blanche, ils assurent les trois quarts des besoins d’Alelor. Car 80 % des graines de sénevé qui entrent dans la composition de la moutarde d’Alsace, dite douce, sont blanches.
La moutarde de Dijon, forte, est quant à elle composée de graines noires. Les visiteurs ont pu goûter et comparer les deux graines. Mais la moutarde de Dijon n’est pas une AOC, et Alelor en fabrique aussi, ainsi que de la moutarde à l’ancienne. La société produit 1 500 tonnes par an du condiment jaune, principalement de la moutarde douce, et propose une cinquantaine de saveurs.
Dernière production d’Alelor, les légumes en saumure, sortent à raison de 500 tonnes par an de l’usine. « Nous travaillons avec les producteurs de cornichons les plus proches possible, en Allemagne. Mais nous étudions la possibilité d’implanter une culture de cornichons ici, en Alsace », a assuré Cédric.
Après ce nécessaire tour d’horizon, les visiteurs se sont enfoncés dans l’usine, au secteur raifort pour commencer. Ils ont enfin vu à quoi ressemble cette drôle de racine, aussi appelée radis de cheval ou wasabi alsacien. La partie de la plante utilisée est enterrée, et prolongée par de longues radicelles, qui peuvent s’enfoncer jusqu’à 1,50 m. Le moindre fragment de racine donne une nouvelle bouture.
Un hectare nécessite 700 heures de travail par an
Cédric a ouvert la chambre froide où sont stockées les racines entre 0 et 1 degré. « Toute intervention dans un champ de raifort doit se faire à pied. On estime qu’un hectare nécessite 700 heures de travail par an. Mais la récolte peut s’étaler d’octobre à mars, alors les producteurs nous ramènent les racines au fur et à mesure, quand ils ont le temps. »
Elles sont ensuite coupées en tronçons et passées dans une parmentière. Les parois rugueuses de la machine, sur lesquelles les racines sont projetées, enlèvent une partie de la peau. Le reste est retiré à la main. « On perd environ 40 % de matière pendant l’épluchage, mais on ne peut pas faire autrement car la surface du raifort n’est pas lisse. »
Ce travail est long et harassant. Éplucher du raifort libère de la sinigrine, une molécule qui fait piquer les yeux et le nez. En automne, à l’arrivée des choucroutes et des pot-au-feu sur les tables alsaciennes, la demande est plus forte. Les employés reçoivent l’aide ponctuelle de résidents du Sonnenhof. Quant aux pelures, elles sont récupérées pour le compost par les agriculteurs.
Les racines sont plongées dans l’eau et le vinaigre blanc pour les réhydrater, désinfecter et blanchir, avant d’être broyées. Les fibres sont encore affinées à la meule en pierre. La pâte est enfin mélangée à de l’eau, du lait, de l’huile de tournesol, et du sel, entre autres. Seul le raifort doux ne contient pas de lait, mais de la protéine de lait, ce qui permet de le conserver hors du réfrigérateur.
Le secteur moutarde a été plus vite parcouru. Les graines de moutarde sont stockées au grenier, puis éclatées dans une machine qui date de 1954. La farine est récupérée, et mélangée à un liquide à base de vinaigre alsacien, eau, sel et épices. La mixture macère puis passe dans des meules : le frottement doit être limité, car la moutarde ne supporte pas de chauffer.
Les visiteurs ont inspecté les trois machines, qui fabriquent moutardes douce, de Dijon et à l’ancienne, avant de se diriger vers le fond de l’atelier. C’est là qu’une employée se consacre à développer de nouvelles recettes. Alors que les consommateurs connaissaient la moutarde à la bière ou au riesling, ils peuvent tester d’autres saveurs depuis le rachat du Domaine des terres rouges.
Ce que les visiteurs ne se sont pas privés de faire ! Une longue table couverte de pots de condiments les attendait, avec des bâtonnets de plastique et des morceaux de pain. Raiforts nature, à la mayonnaise ou à l’ail des ours, moutardes aux noix, aux trois poivres, à la figue ou encore au piment d’Espelette n’ont plus de secrets pour eux.
Les condiments, une aventure alsacienne
La moutarderie Alelor a été fondée en 1873 par les frères Stumpf, à Lingolsheim. À l’époque, l’Alsace et la Lorraine étaient passées dans le giron allemand, et le nom de l’entreprise a été choisi par nostalgie des deux régions perdues. L’Alsace comptait alors une trentaine de moutarderies.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Georges et Marguerite Urban, frère et sœur, s’interrogent sur l’avenir de leur ferme à Mietesheim. Ils font venir quelques racines de raifort d’Allemagne, et commencent une plantation. En 1956, ils créent la marque Raifalsa. D’autres agriculteurs s’y mettent, et bientôt les Urban se consacrent à la transformation.
En 1997, la famille Trautmann rachète Raifalsa, et en 2006 Alelor, qui produisait aussi des légumes en saumure. L’activité est centralisée à Mietesheim, les bâtiments sont agrandis. En 2015, la société acquiert la marque d’épicerie fine Domaine des terres rouges, en Corrèze. En 2016, Alelor devient le nom de marque qui regroupe Raifalsa et Alelor.